Pourquoi les Japonais n’ont pas eu le réflexe d’évacuer ?


Pour célébrer la Fête nationale du 14 juillet, l’ambassadeur de France au Japon organise traditionnellement une réception dans sa résidence. Cette année, cette réception a exceptionnellement été organisée dans la ville de Kooriyama, dans le département du Fukushima durement affecté par l’accident nucléaire. Qui plus est, la réception s’est déroulée en présence du ministre de la Culture, qui a dérogé à la règle suivant laquelle tous les membres du gouvernement sont tenus d’assister au défilé militaire et à la réception du 14 juillet aux côtés du Président de la République.

La France a ainsi voulu exprimer sa solidarité à l’égard des sinistrés du Tohoku ayant été victimes du séisme-tsunami-accident nucléaire survenu quatre mois et trois jours plus tôt. Les médias, quant à eux, estiment que le gouvernement français a cherché à donner un coup de brosse à l’image des Français ternie par leur évacuation massive juste après l’accident nucléaire.

S’il est vrai que nombre d’étrangers, dont des Français, ont quitté la région tokyoïte voire le Japon à ce moment là, il est également vrai que, au même moment, des équipes de secouristes étrangères, dont la sécurité civile française composée de plus de 130 pompiers, venaient prêter main forte aux Japonais.

Je me suis porté volontaire pour accompagner les pompiers français à Sendai en tant que traducteur. La sécurité civile été venue avec des combinaisons de radioprotection pour tous les membres de l’équipe. Elle comptait parmi ses membres des experts en radioprotection, qui mesuraient en permanence la radioactivité et pour cause : sur la route qui nous menait à Sendai, leur radiamètre rendait compte d’une radioactivité plus élevée que la normale ici et là, notamment lorsque nous traversions le département du Fukushima.

A Sendai, ces experts en radioprotection étaient en contact permanent avec le siège parisien. Puis, en pleine nuit, Paris nous ordonnait d’évacuer immédiatement. Selon les prévisions météorologiques françaises, le vent soufflait en direction de Sendai, emportant avec lui les particules radioactives projetées en masse par la centrale de Fukushima Dai-ichi. Déjà pendant la journée, le sol de la zone sur laquelle s’étaient rendus les pompiers présentait une radioactivité anormalement élevée, ce qui les avait obligés à rincer la semelle de leurs bottes.

La pollution radioactive était donc réelle. Cela était évident, puisque la centrale de Fukushima Dai-ichi avait explosé et rejeté dans l’atmosphère une quantité astronomique, qui se mesure en péta becquerel, de matières radioactives. Ceci s’apparente à l’éruption d’un volcan : tout comme les cendres sont transportées par le vent avant de tomber au sol, les radionucléides se sont déplacés au gré du vent, avant de se poser au sol.

Et pourtant. L’agence japonaise de la météo n’a pas publié les informations sur le vent. Il était tout à fait possible de prévoir le mouvement du panache radioactif, mais les informations cruciales n’avaient jamais été communiquées aux Japonais par leur gouvernant. En revanche, l’IRSN et la météo allemande ont très vite commencé à rendre publique les informations météorologiques concernant le Japon ou sur le panache, qui indiquaient que Tokyo était exposé à des risques radioactives. Et c’est pour cela que les étrangers ont évacué Tokyo voire le Japon. C’était un geste tout à fait naturel pour se mettre à l’abri ou protéger sa famille voire ses employés.

En France, des comprimés d’iode sont distribués à la population voisinant les centrales nucléaires. Celles-ci possèdent la liste des habitants, afin de pouvoir, en cas de risque d’explosion ou d’irradiation, leur ordonner le confinement, l’évacuation ou l’administration des comprimés d’iode. En cas d’explosion, le préfet ordonne immédiatement l’interdiction de la circulation des produits agroalimentaires de la région.

Le vrai problème, c’est que, au Japon, il n’existe pas de plan d’urgence concernant les accidents nucléaires. Pourquoi ? Parce qu’aussi bien l’exploitant que le gouvernement et les collectivités locales n’ont eu cesse d’affirmer que les centrales nucléaires ne présentaient pas de risque. Par conséquent, ni la population, ni les pouvoirs publics, ni l’exploitant n’est prêt à faire face à une crise nucléaire. Si bien que personne n’évacue et que ceux qui ont évacué se sont fait critiquer.

Le parc nucléaire japonais compte 54 réacteurs, dont 12 sont actuellement en marche. Ces 12 réacteurs vont successivement être mis à l’arrêt d’ici avril 2012, car les règles au Japon veulent qu’un réacteur soit arrêté pour vérification tous les treize mois. Ces mêmes règles stipulent que le redémarrage soit soumis à l’approbation du gouverneur ; étant donné que celui-ci doit tenir compte de l’opinion publique, il est peu probable que les réacteurs aujourd’hui à l’arrêt redémarrent dans un avenir proche voire lointain. Ce qui veut dirent qu’à partir de mai 2012, plus aucun réacteur nucléaire ne fournira d’électricité dans l’Archipel.

Toutefois, les centrales doivent continuer à refroidir les combustibles nucléaires pendant certaines années. Qui plus est, il n’est pas exclu qu’un gouverneur décide de remettre en marche des réacteurs. Il est dès lors urgent et indispensable que le gouvernement détermine un plan d’urgence pour faire face au prochain accident nucléaire qui, chacun le sait, peut survenir n’importe où à n’importe quel moment, peut-être demain, suite à un séisme de grande ampleur dans cet archipel qui en connaît si souvent. Faute de quoi le Japon n’est pas apte à manipuler la technologie nucléaire.

Rigue Kitakami
14 septembre 2011


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